Flatshop, encore peu connu à l’international, commence pourtant à se faire une place dans la scène coréenne indépendante. Le groupe intrigue, d’abord parce qu’il est difficile à classer. Quatuor à la frontière du R&B, de la soul et de la pop alternative, il réunit Khundi Panda, DAMYE, Viann et Noogi.
Khundi Panda, signé jusqu’en 2024 sur le label Dejavu Group fondé par BewhY, a déjà fait ses preuves sur la scène du hip-hop coréen grâce à la finesse de son écriture et à ses prestations remarquées dans l’émission Show Me The Money.
Son parcours l’a progressivement poussé à rechercher une expression artistique plus libre et collaborative. Flatshop n’est pas un simple projet supplémentaire, mais un véritable terrain d’expérimentation musicale pour les quatre artistes.

Dans le collectif, la collaboration va bien au-delà d’un simple moyen de se faire connaître. C’est une façon de créer plus librement, sans craindre de se perdre en route. Ensemble, les membres réfléchissent aux thèmes, testent des idées, échangent leurs impressions et demandent des avis extérieurs dès qu’un morceau commence à prendre forme.
Ce va-et-vient entre création personnelle et regard du groupe donne des chansons qui reflètent chacun des membres tout en dépassant la somme de leurs talents. Chacun apporte sa propre sensibilité, son vécu, et c’est cette diversité qui fait grandir le projet en ayant une vraie cohérence sonore sans uniformité.
Entre lucidité et insouciance
Leur premier EP, paru en 2021, posait déjà les bases d’un univers singulier entre leur sens du contraste et une palette musicale riche en nuances. Mais c’est avec le single “GUYDANCE“, dévoilé début septembre 2025, que cette identité s’est pleinement affirmée. Un morceau solaire, où la basse et les synthés invitent à bouger sans effort. Il ne s’agit pas simplement de bien danser, mais plutôt de se laisser porter par le moment, sans se soucier du regard des autres. Ce titre, présent sur leur premier album, annonçait parfaitement la direction que Flatshop allait prendre avec Toast Recipe, sorti le 2 octobre 2025.
Fidèle à cet esprit de collectif, Flatshop a opté pour une promotion à la fois simple et décalée. Sur Instagram, les membres ont mis en scène la sortie de l’album avec un humour assumé, rompant avec le culte du “branding parfait” souvent présent dans l’industrie musicale. Cette légèreté spontanée renforce la cohérence du projet : Toast Recipe n’est pas qu’un album, c’est une véritable bouffée d’énergie, une dose concentrée de bonne humeur et d’authenticité. Mais derrière cette effervescence et cette image good vibes, tout n’est pas rose. C’est justement ce contraste qui fait la force du groupe. Flatshop mêle sarcasme, burlesque et franchise avec justesse. Cet équilibre entre réflexion et légèreté leur permet de transformer des thématiques parfois mélancoliques en une expérience étonnamment réconfortante.
Cette dualité transparaît dès le premier morceau de l’album “Candyland”. La chanson s’ouvre sur un ton rêveur et euphorique. On a un univers sucré, ou plutôt édulcoré semblable à un parc d’attractions, où “tout ce que tu imagines t’y attend”. Pourtant, derrière cette façade enfantine se cache une critique du capitalisme moderne et de la lassitude d’une génération prisonnière de la routine. Ce paradis artificiel devient alors la métaphore d’un monde où tout brille, mais rien ne respire. La répétition de “Let the dreams come true” sonne comme une parodie d’un slogan publicitaire aux promesses illusoires.
Le second morceau, “Don’t Push My Button” (ou “뻐큐버튼” en coréen, littéralement “F*ck You button”), est plus direct, la colère y est assumée mais toujours en gardant le sourire. Flatshop donne ici voix à ceux qui refoulent leur frustration dans une société où la politesse devient presque une oppression. Musicalement, le morceau mélange hip-hop et électronique, traduisant la tension entre maîtrise et explosion émotionnelle.
Flatshop tourne en dérision les discours méritocratiques (“la pression fait les diamants, foutaises”), refusant la glorification de la souffrance et de la performance. Toujours avec sarcasme, le refrain “F*ck You Very Much” symbolise cette révolte tout en restant poli. Et ce qui rend le tout encore plus savoureusement ironique, c’est que ce même refrain est également composé de simples “oh” (“오” en coréen). En effet, en coréen, la voyelle ㅗ peut symboliser un doigt d’honneur ; or, en ajoutant le ㅇ, on transforme ce symbole grossier en une syllabe parfaitement innocente. Voulu ou non, ce clin d’œil visuel et sonore colle parfaitement à l’esprit du morceau, un grand “oh” insolent, à la fois drôle et libérateur.
La musique comme refuge
Si “GUYDANCE” semblait à première écoute nous inviter à danser, à nous détendre et à souffler après une journée sans fin, le clip en est la parfaite illustration. On est directement plongé dans l’intimité du personnage, incarné par CHOI LB, qui rentre chez lui, s’affale dans son fauteuil et laisse échapper un soupir. À cet instant, le sous-titre “Did you have a bad day?” s’affiche, comme une question adressée à la fois à lui et au spectateur. Il enfile alors ses écouteurs, choisit sa musique… et dès les premières notes, tout bascule. La mélodie agit comme un déclencheur, provoquant chez lui une métamorphose littérale. Son corps n’est plus le même, son énergie explose, et il se met à danser, emporté par le rythme de la chanson.
Le véritable message de cette chanson repose sur l’idée que, dans un quotidien dominé par la pression sociale, la musique devient un refuge permettant à chacun de se reconnecter à ses émotions et de se libérer. Beaucoup aimeraient simplement danser, mais s’en empêchent par crainte du regard extérieur : une analogie légère qui souligne combien l’opinion des autres influence nos comportements.
Le titre « GUYDANCE », par son jeu de mots, évoque également ‘guidance’, renforçant l’idée que la musique agit comme un guide émotionnel, invitant chacun à suivre ses envies et à s’autoriser à se libérer.
Cette réflexion sur la liberté émotionnelle trouve un écho plus intime dans “Safelock”, où Flatshop s’aventure dans les recoins les plus secrets du cœur, là où chacun garde ses émotions les plus profondes. La chanson montre que même ceux qui paraissent fermés ou réservés peuvent, à leur manière, chercher la proximité et l’intimité.
Ce message prend toute sa force à travers un clip minimaliste, où les quatre artistes apparaissent face à la caméra. La simplicité renforce l’authenticité du moment, donnant au spectateur la sensation d’assister à un instant réel, presque improvisé.
Le tournage en vert et noir, rappelant une vision nocturne, ajoute une dimension encore plus intime. On a l’impression d’observer les artistes à travers une caméra discrète, comme si l’on entrait dans un espace privé, loin de tout regard extérieur.
Dans la continuité de cette proximité avec le public, “OPTIMIST PRIME” s’adresse à chacun, et l’utilisation de l’anglais permet à Flatshop de toucher un public bien au-delà de la Corée. La chanson aborde la thérapie et la santé mentale, encore des sujets parfois tabous dans la société coréenne, et souligne l’importance de reconnaître et de prendre soin de ses émotions. Flatshop y transmet un message clair, chacun mérite d’être heureux.
Malgré les difficultés et le vide intérieur que décrit le morceau, il rappelle que le sourire, la persévérance et la confiance en soi sont essentiels pour se sentir vivant et épanoui.
Les projets solo à suivre de près
Si Flatshop incarne un avenir artistique prometteur, chacun des quatre artistes poursuit également sa propre trajectoire, avec des projets et des collaborations qui reflètent leurs univers singuliers.
Khundi Panda poursuit son évolution avec une vision à la fois créative et entrepreneuriale. En octobre 2024, il a fondé Backlash, son propre label à Séoul, sous lequel est déjà paru son album MODM 2 : The Bento Knight (2024).
Le 30 septembre 2025, il ouvre un nouveau chapitre avec le single « you made the bvcklash », premier aperçu d’un album attendu pour 2026. Entre la construction de son label et le début d’une nouvelle ère musicale, Khundi Panda affirme plus que jamais sa place dans le hip-hop coréen et on a hâte de voir jusqu’où cette nouvelle identité le conduira.
Noogi a sorti son single Hunting (ou Hunt selon la traduction) le 25 juin 2025. Les paroles de ? (물음표) parlent d’une lutte intérieure pour rester fort malgré la douleur, tandis que la composition et les arrangements de Noogi apportent une énergie intense qui renforce ce message.
Le 30 juin 2025, Viann a sorti l’EP GL1TCHPORTABLE, en collaboration avec le chanteur-compositeur HESSE. Le projet explore textures sonores et émotions dans un style électro / R&B alternatif, intégrant des distorsions et imperfections caractéristiques du glitch.
Enfin, DAMYE, lui, est plus actif dans les collaborations. Son dernier single date de 2023, mais en février 2025, il apparait sur deux morceaux de l’album (concept) d’Oddeen. L’un réunit également Noogi et l’autre Qim Isle, récemment aperçu sur l’album de Yerin, dont nous avions déjà parlé dans un précédent article (ici).
Il séduit par un timbre de voix suave et délicat, à la fois doux et légèrement mielleux, qui apporte une véritable texture émotionnelle aux morceaux. Son univers rappelle celui d’artistes comme THAMA ou O3ohn que l’on retrouve sur les discographies de Cosmic Boy, George, pH-1, ou encore APRO.
Plus récemment, il apparaît également sur le projet expérimental d’A.TRAIN, sorti fin septembre 2025, une collaboration qui montre son ouverture artistique audacieuse.
Autant de projets que de directions artistiques, et c’est justement cette effervescence créative qui fait la force et la beauté de Flatshop. C’est un collectif où chaque artiste brille à sa manière tout en contribuant à un univers commun en constante évolution.
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Article par Angèle
Crédit photos : Ⓒ Flatshop